Contrôler la marchandisation de l’éducation

 

L’éducation ouverte et les ressources éducatives libres (REL) pour contrôler la marchandisation de l’éducation

 


Auteure

Catherine Lachaîne est Chef intérimaire, Stratégie des collections à la Bibliothèque de l’Université d’Ottawa. Doctorante en éducation, elle est également coordonnatrice scientifique de la Chaire de recherche sur l’épanouissement numérique des communautés franco-ontariennes ainsi qu’agente de programme invitée pour l’éducation ouverte à l’Association des bibliothèques de recherche du Canada.


 

L’économie du savoir est lucrative pour ceux qui savent jouer le jeu. Nous ne cessons de voir apparaître de nouvelles stratégies de la part des entreprises de l’information et des éditeurs pour contrôler le marché de l’éducation et de la recherche, en usant même d’open washing (ouvertisation) pour y arriver.

Programmes d’« accès inclusif » et d’« accès équitable »

En Amérique du Nord, des modèles de facturation automatique des manuels se présentent comme des alternatives d’accès inclusives et équitables au matériel éducatif. L’usage d’un vocabulaire emprunté à l’éducation ouverte est trompeur et ne peut être considéré comme accidentel avec la montée en popularité des REL. Ces modèles comportent plusieurs enjeux et il faut bien comprendre de quoi il est question. Les programmes d’accès inclusif proposent un modèle de vente de manuels intégré aux droits de scolarité1. Une fois mis en œuvre, cet accord commercial entre les fournisseurs et l’établissement d’enseignement (souvent par l’intermédiaire de la librairie du campus) est imposé à tout le corps étudiant. Si possible, il en incombe à la personne étudiante de se désinscrire du programme si elle ne veut pas être facturée automatiquement et souhaite se procurer le matériel de cours autrement2. Il s’agit d’un fardeau additionnel non nécessaire et une atteinte à l’agentivité des apprenants. 

Les programmes d’accès équitable sont encore plus agressifs, car ils imposent des tarifs fixes pour chaque crédit de cours à toutes les personnes étudiantes, peu importe si le cours requiert un manuel ou non. Bien que toute la communauté étudiante paye un montant équivalent pour le nombre de crédits, ce modèle inéquitable pour ceux qui n’ont pas de manuels assignés à leurs cours est déguisé comme étant juste. De plus, les manuels et les ressources comprises dans ces modèles sont numériques et dans la plupart des cas, la personne étudiante perdra son accès à la fin de son cours ou de sa scolarité. Il s’agit donc de frais de location, plutôt qu’un achat perpétuel. 

Ce jeu d’open washing se joue même dans le nom des programmes, qui diffèrent de campus en campus, et qui rend la tâche difficile aux personnes étudiantes de bien distinguer ce dont il est question. Inclusiveaccess.org compile une liste et nous voyons la variété de termes utilisés pour décrire les programmes, par exemple : All Access ; All Inclusive ; Digital Direct Access ; Equitable Access ; Universal Access ; Immediate Access ; IncludED ; Inclusive Access3. Ces noms, bien que positifs et évoquant un accès sans barrières, cachent pourtant tous des frais associés. 

En plus de ces frais, d’autres enjeux importants s’ajoutent à l’adoption de ces modèles par les établissements d’enseignement. Dans sa déclaration sur les modèles de facturation automatique des manuels didactiques, l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) souligne le suivi et la collecte de données personnelles des personnes étudiantes par les fournisseurs de manuels numériques. Également, ces programmes limitent la liberté académique de corps enseignant, car un choix de supports didactiques produits par des éditeurs est sélectionné et déterminé à l’avance. Et aucun fournisseur ne peut prétendre offrir accès à toute la diversité de contenu, surtout dans des milieux où la langue d’enseignement est autre de l’anglais. Ces contenus présélectionnés et standardisés ne représentent pas le caractère local et unique des pays, régions ou villes où l’enseignement a lieu. L’importance de la glocalisation, l’adaptation d’un contenu à teneur globale à la réalité locale, évoquée dans le discours sur les REL4, est complètement évacuée. Finalement, ces modèles détournent les services de bibliothèque, qui eux offrent des alternatives réellement abordables pour les personnes étudiantes, par le biais de leurs collections et leurs réserves de cours électroniques.

Bien que la marchandisation de l’éducation dans le contexte néolibéral de l’enseignement supérieur ne soit pas un phénomène récent, ces nouvelles méthodes de monopolisation du marché de la publication éducative gagnent du terrain. Il faut rester vigilant et ultimement résister aux pressions que posent ces entreprises sur nos campus.

 

Les REL comme réponse réellement ouverte

Une manière de résister est de continuer à soutenir les REL dans nos établissements, ce matériel d’apprentissage réellement gratuit et libre5. En continuant d’investir dans des programmes de création et d’adaptation de REL, d’offrir du soutien pour leur intégration, de développer des programmes d’études avec « manuels de cours sans frais » (Zero Textbook Cost; ZTC), et de sensibiliser nos communautés aux bénéfices que les REL apportent aux personnes étudiantes, mais aussi aux personnes enseignantes, nous pourrons gagner la joute contre l’industrie. La communauté de l’éducation ouverte est dynamique et créative, nous avons les capacités si nous nous rallions telle une seule et grande équipe.

 

Références

  1. https://www.carl-abrc.ca/fr/publications-et-documents/declaration-de-labrc-sur-les-modeles-de-facturation-automatique-des-manuels-didactiques/ ↩︎
  2. https://www.inclusiveaccess.org/resources/what-is-inclusive-access ↩︎
  3. https://www.inclusiveaccess.org/resources/what-is-inclusive-access ↩︎
  4. Willems, Julie, et Carina Bossu. « Equity considerations for open educational resources in the glocalization of education ». Distance Education 33, nᵒ 2 (2012): 185‑99. https://doi.org/10.1080/01587919.2012.692051. ↩︎
  5. https://www.unesco.org/fr/legal-affairs/recommendation-open-educational-resources-oer ↩︎

 

Licence
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Cet article de Catherine Lachaîne est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International.

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