Les “role models” : un impact sur le choix de la filière pour les lycéennes

Photo de javier trueba sur Unsplash

Cette année, dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, nous choisissons de mettre en lumière un article que nous avons apprécié. Il s’agit de celui écrit par Marion Monnet, Université de Bourgogne – UBFC.

Cet article s’inscrit dans la thématique du 8 mars 2023, définie par l’Organisation des Nations Unies, qui est : “« Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes ». Ce thème est associé au thème prioritaire de la 67e session de la Commission de la condition de la femme (CSW-67), à savoir « L’innovation, le changement technologique et l’éducation à l’ère du numérique pour réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». “
Bien évidemment, cette lutte pour l’égalité entre hommes et femmes est un enjeu du quotidien et des actions restent à mener, par toutes et tous, tout au long de l’année.

Au sein de la Chaire UNESCO RELIA, nous accordons une importance majeure à ces sujets et essayons de participer, à notre échelle, à l’évolution vers une société plus égalitaire. Et cette année, la thématique du 8 mars fait d’autant plus sens pour nous, en lien avec les projets de l’équipe. En effet, l’Éducation Ouverte et l’Intelligence Artificielle ont un rôle à jouer, par exemple pour mettre en œuvre des pratiques pédagogiques adaptées, réduire les biais et contribuer à la diminution des inégalités.


Choisir une filière scientifique : l’importance des « role models » pour les lycéennes

Marion Monnet, Université de Bourgogne – UBFC

L’égalité entre les femmes et les hommes a été déclarée grande cause nationale par le président de la République. Réaliser les conditions de cette égalité commence dès le plus jeune âge, à l’école, comme le rappelle l’article L121-1 du Code de l’éducation qui stipule que « Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur […] contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation ». Or les chiffres montrent que nous sommes encore loin du compte en la matière.

Après le collège, premier temps fort dans l’orientation des élèves, les filles s’orientent pour la plupart vers la voie générale et technologique (71 %), quand seulement un peu plus de la moitié des garçons optent pour cette voie (57 %), l’autre moitié se dirigeant vers la voie professionnelle. C’est ensuite au lycée que les jeunes filles commencent à se détourner massivement des sciences dites « dures » (mathématiques et sciences de l’ingénieur) et du numérique, quand les garçons se détournent eux des filières plus littéraires.

À la rentrée 2021, les filles ne représentent, par exemple, que 40 % des effectifs de l’enseignement de spécialité de mathématiques et seulement 13 % des effectifs de sciences de l’ingénieur et du numérique. Ces choix d’enseignements de spécialités préfigurent très largement l’orientation post-bac des élèves, où les filles ne constituent que 17 % des effectifs d’étudiants en mathématiques, ingénierie et informatique.

Or le simple fait que filles et garçons ne fassent pas les mêmes choix d’orientation, et notamment le fait que les filles soient sous-représentées au sein de certaines filières scientifiques, explique entre un tiers et un quart des écarts de rémunérations entre les femmes et les hommes sur le marché du travail.

Le poids des stéréotypes de genre

Si les causes de ce désintérêt des filles pour les filières scientifiques sont multiples, le poids des normes sociales et des stéréotypes de genre est aujourd’hui reconnu par la communauté scientifique comme l’une des causes principales des inégalités d’orientation entre les filles et les garçons.

Dans une enquête réalisée auprès de 8 500 lycéens d’Île-de-France, nous montrons que la prévalence des stéréotypes de genre demeure élevée : entre 20 % et 30 % des filles et des garçons de notre échantillon sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les hommes seraient naturellement plus doués en mathématiques que les femmes.

Contrecarrer l’influence de ces stéréotypes associés aux rôles masculins et féminins et promouvoir une image plus inclusive des filières scientifiques semble donc être un des premiers leviers à mobiliser pour favoriser des choix éducatifs moins genrés.

Une piste prometteuse pour y parvenir est de mettre les élèves au contact de role models féminins auxquels les jeunes filles puissent s’identifier. C’est ce que proposent diverses associations et programmes, à l’instar de « Elles bougent » ou encore « Femmes et maths ». Notre équipe de recherche a évalué l’impact de l’une de ces initiatives : le programme « For girls in science » porté par la fondation L’Oréal. Il consiste en des interventions dispensées par des femmes scientifiques en classes de seconde générale et de terminale scientifique, deux moments clés dans l’orientation des élèves.

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L’objectif de cette heure d’échanges est double : déconstruire les stéréotypes associés à la présence de femmes en sciences et susciter l’intérêt des jeunes filles pour les filières scientifiques. L’évaluation de ce programme a été conduite dans 600 classes, réparties dans 98 lycées représentatifs des trois académies d’Île-de-France.

Des ingénieures rencontrent des lycéennes – Exemple d’actions menées par l’association Femmes et Mathématiques (France 3 Grand Est, 2022).

Afin de déterminer l’effet causal de l’intervention des femmes scientifiques sur les perceptions et sur les choix d’orientation des élèves, nous avons procédé à une évaluation par assignation aléatoire, qui consiste à tirer au sort la moitié des classes pour bénéficier de l’intervention (groupe « traité »), l’autre moitié servant de groupe de comparaison (groupe « témoin »).

Le tirage au sort garantit que les classes bénéficiant de la venue d’une femme scientifique sont en moyenne identiques aux classes témoins, puisqu’elles n’ont pas été choisies sur la base de caractéristiques spécifiques, comme une implication plus ou moins grande des enseignants dans le processus d’orientation, ou encore en fonction de la part plus ou moins élevée d’élèves projetant de faire des études scientifiques. Toute différence observée par la suite entre les classes traitées et témoins peut donc être interprétée comme l’effet direct de l’intervention.

Des représentations qui évoluent

Les résultats de notre étude montrent d’abord que l’intervention a eu des effets importants sur la manière dont les élèves se représentent les aptitudes des femmes et des hommes en sciences (Graphique 1). Parmi les élèves des classes traitées, la proportion se déclarant d’accord avec l’affirmation selon laquelle les hommes sont naturellement plus doués en mathématiques que les femmes, ou selon laquelle les cerveaux des hommes et des femmes sont différents diminue de 15 % à 23 % par rapport aux élèves des classes témoins.

L’intervention a par ailleurs rendu plus visible la sous-représentation des femmes en sciences, comme en témoigne la part d’élèves d’accord avec le fait qu’il y a plus d’hommes dans ce domaine qui augmente de 12 à 17 points de pourcentage. En revanche, un effet non anticipé du programme est qu’en mettant l’accent sur la sous-représentation des femmes en sciences, les interventions ont renforcé chez les élèves le sentiment que les femmes ont une moindre appétence pour les sciences et qu’elles sont discriminées dans les carrières scientifiques.

Graphique 1. Impact du programme sur la perception des différences de genre face aux sciences. Fourni par l’auteur

En suivant les élèves l’année après l’obtention de leur baccalauréat, nous montrons que, si le programme n’a en moyenne pas modifié les choix d’orientation des garçons ou des filles de seconde, il a néanmoins permis d’orienter une partie des filles de terminale scientifique vers des filières dans lesquelles elles sont largement sous-représentées. La proportion de filles inscrites en classe préparatoire scientifique passe ainsi de 11 % dans les classes témoins à 14,1 % dans les classes traitées, soit une augmentation de près de 30 %.

Dit autrement, cet effet est équivalent à avoir fait basculer une fille toutes les deux classes en classe préparatoire scientifique. Le graphique 2 montre que l’effet se concentre principalement sur les filles figurant parmi les 20 % les meilleures en mathématiques, avec une proportion d’inscrites en classe préparatoire scientifique passant de 28 % à 43 %.

Dans la toute dernière partie de notre étude, nous montrons que les intervenantes qui ont été les plus efficaces pour faire changer l’orientation des jeunes filles sont celles qui ont réussi à susciter l’intérêt des filles pour les métiers scientifiques. Celles ayant plus insisté sur la sous-représentation des femmes dans les métiers ne sont en moyenne pas parvenues à modifier les choix d’orientation.

Graphique 2. Impact du programme sur la probabilité de s’inscrire en classe préparatoire scientifique selon le niveau en mathématiques.

Bien que les interventions de role models féminins en milieu scolaire constituent une piste prometteuse pour susciter l’intérêt des jeunes filles pour les filières scientifiques, cela ne saurait suffire à résorber l’ampleur des inégalités d’orientation entre les filles et les garçons. Ce type d’intervention doit donc s’intégrer dans un ensemble plus large de mesures oeuvrant en faveur de l’égalité filles-garçons à l’école.

Marion Monnet, Maitresse de conférence en économie, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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