Réflexions philosophiques autour de l’intelligence artificielle

Équipe de la Chaire “Pratiques de la philosophie avec les enfants et les adolescents” - de gauche à droite : David Zard, Charlie Renard, Caroline Raffaelly, François Mongis.

La Chaire UNESCO “Pratiques de la philosophie avec les enfants et les adolescents” a récemment été invitée par Colin de la Higuera et son équipe, de la Chaire RELIA (Ressources Éducatives Libres et Intelligence Artificielle), pour coanimer une journée dédiée à l’intelligence artificielle (IA) lors de la Nantes Digital Week. Cet événement, à la croisée des chemins entre philosophie et technologie, s’adressait à deux publics : des élèves de seconde et le grand public. La question au cœur de cette journée ? Penser face à l’IA : à quoi bon ?

Visuel de l’événement du 20 septembre

IA, amour et philosophie

L’omniprésence de l’IA dans notre quotidien rend pertinent l’exercice de questionnement philosophique. En plus d’aborder cette technologie sous un angle technique, nous l’avons explorée à travers des prismes éthiques et existentiels : Peut-on aimer une IA ? L’IA, un partenaire ou un ami idéal ? Pour alimenter ces réflexions, nous avons organisé des ateliers interactifs. Dans l’atelier “Peut-on aimer une IA ?”, les élèves ont visionné une vidéo où des jeunes tombaient amoureux d’un chatbot qu’ils avaient eux-mêmes paramétré pour être leur partenaire idéal. Ce scénario, à la fois captivant et troublant, a soulevé des questions sur la nature même des relations humaines. L’expérience a été complétée par un reportage sur une entreprise asiatique utilisant l’IA pour “redonner vie” aux défunts, permettant ainsi aux proches de continuer à interagir avec eux. Les élèves ont également eu accès à divers articles, allant de l’influenceuse virtuelle sur Instagram aux avatars enseignants, en passant par le jeu vidéo Detroit : Become Human, où des androïdes cohabitent avec des humains.

Ces jeunes de seconde de l’agglomération nantaise lors de ces ateliers de philosophie ont été amenés à réfléchir à des questions qu’ils se sont posées telles que sans corps, une véritable relation est-elle possible ? Les IA peuvent-elles vraiment nous “comprendre” ou nous font-elles croire que la simulation de cette compréhension est réelle ? Comment savoir si l’attachement à une IA constitue une émotion ou une relation authentique ?

Ces questionnements s’enracinent dans des dilemmes concrets : si un algorithme peut simuler des comportements affectueux, cela suffit-il pour parler d’amour ? Une relation sans conflits, comme celle promise par une IA, a-t-elle encore du sens ? Que deviendrait notre rapport à l’altérité dans un monde où l’on peut “personnaliser” son partenaire selon des critères prédéfinis ?

Les discussions qui ont suivi ont révélé des interrogations, réflexions face à la perfection programmée des IA : Les sentiments simulés par une IA peuvent-ils être authentiques ? Peut-on parler de réciprocité dans une relation avec une machine, dépourvue de véritables émotions ? Une IA toujours “parfaite” pourrait-elle nous empêcher de vivre des expériences humaines fondamentales, comme la gestion du deuil ou les désaccords qui enrichissent nos relations interpersonnelles ?

Facilitation graphique réalisée par Émilie Renaud

L’art et l’IA : Quand la machine identifie l’art ?

L’après-midi a permis de différencier la réflexion, en s’intéressant à l’art et à la créativité. Comment une machine peut reconnaître une œuvre d’art ? Comment définit-on une œuvre d’art ? Le public a été invité à se mettre dans la peau d’un directeur de musée et à configurer un assistant IA chargé de nettoyer les lieux. Problème : comment paramétrer cette IA pour qu’elle distingue les œuvres d’art des objets ordinaires ?

Chaque groupe disposait de photos représentant 15 œuvres d’art très différentes, qu’ils devaient hiérarchiser selon les critères définissant ce qu’est une œuvre d’art. Ce travail de classification, loin d’être anodin, visait à montrer les ambiguïtés qui entourent la création artistique : peut-on réduire une œuvre à une simple liste de critères objectifs, ou y a-t-il une part d’inexplicable qui est difficilement programmable pour une IA ?

Le débat qui a suivi a permis d’explorer plusieurs aspects : L’IA peut-elle vraiment comprendre ce qu’est une œuvre d’art ? Quelle est la différence entre identifier une œuvre et la créer ? Quelle est la différence entre une œuvre d’art et un objet artisanal ? L’art, comme l’amour, implique une profondeur humaine que les machines peut-être peinent à saisir dans leur intégralité.

Ce que ces ateliers ont mis en lumière, c’est que la relation entre humains et IA soulève des enjeux bien au-delà du simple champ technologique. Les jeunes participants ont relevé que, dans une relation avec une IA, l’absence de réciprocité et d’altérité pourrait appauvrir nos interactions sociales. D’un autre côté, une IA présente des avantages certains : elle ne trahit pas, elle est d’humeur égale et peut s’adapter parfaitement à nos attentes. Mais cela ne pourrait-il pas nous priver du “piment” des relations humaines, où l’imprévisibilité et les contradictions jouent un rôle crucial ?

La journée s’est conclue par une prise de hauteur : attention à ne pas se laisser piéger par la “facilité” offerte par l’IA, qui pourrait entraîner une forme de dépendance, voire des comportements pathologiques. L’IA, en facilitant certains aspects de notre vie, pourrait nous conduire à perdre notre esprit critique et notre capacité à confronter des opinions divergentes.

Conclusion

Au terme de cette journée riche en échanges, une chose est certaine : il n’y a pas de réponse simple à la question “Peut-on aimer une IA ?”ou “Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?”. Ce qui est clair, c’est que ce type de réflexion collective, mêlant philosophie et technologie, permet à chacun de prendre du recul, de questionner ses certitudes, et d’explorer les implications éthiques et existentielles de l’intelligence artificielle.

Un grand merci aux 90 lycéens pour leur participation active et leurs contributions intellectuelles stimulantes, ainsi qu’au grand public qui a su s’investir dans la réflexion sur l’avenir de l’art à l’ère des machines. L’intelligence artificielle soulève des défis complexes, mais elle offre aussi une opportunité unique de repenser nos relations, nos créations et, in fine, ce qui fait de nous des êtres humains.

Écrit par Caroline Raffaelly, Philéact, Chaire UNESCO “Pratiques de la philosophie avec les enfants et les adolescents”.

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