
L’Éducation Ouverte : Une Réinvention du Service Public de la Connaissance
Auteur
Pierre-Antoine Gourraud est professeur des universités et praticien hospitalier en biologie cellulaire à Nantes. En 2018, il a pris la tête de la “clinique des données” au CHU de Nantes, un service dédié à l’exploitation sécurisée et transparente des données de santé des patients. Pendant la crise du COVID, il a piloté un projet Open source de respirateur artificiel.
En tant qu’enseignant-chercheur en santé, l’éducation ouverte apporte une nouvelle dimension au service public de la connaissance, pilier central de notre métier. Cette approche décline la connaissance en trois axes fondamentaux : la transmission, le développement et l’application, chacun réinventé grâce à l’éducation ouverte, une ouverture que nous laissent entrevoir les technologies numériques.
La Connaissance Transmise : Le Savoir Partagé dans un Contexte
L’éducation ouverte permet de rendre l’information accessible à tous. Ce partage ne se limite pas à la simple mise à disposition de ressources : il s’agit de les rendre remobilisables pour d’autres étudiants par d’autres enseignants dans un contexte que seuls d’autres connaissent. Les contenus éducatifs prennent tout leur sens lorsqu’ils sont adaptés aux besoins des apprenants et enrichis par l’interaction humaine. Cette contextualisation est cruciale, car elle transforme un potentiel en la réalisation d’un échange. En ouvrant l’accès aux ressources éducatives, nous redéfinissons les frontières de l’apprentissage et mettons en œuvre le premier volet du service public de la connaissance : celui de la transmission.
La Connaissance Développée : L’Innovation au Service de l’Ouverture
Le deuxième pilier de l’éducation ouverte est le développement des connaissances, souvent apparenté à de la recherche fondamentale ou appliquée. Dans ce domaine, les outils numériques et l’ouverture des données jouent encore un rôle central. Nos travaux sur l’utilisation systématique des données synthétiques anonymes illustrent parfaitement cette démarche [https://www.nature.com/articles/s41746-023-00771-5]. Cet usage systématique permet de créer de la valeur en partageant plus et mieux l’information contenue dans des données personnelles. Ces données, générées artificiellement, permettent de respecter la vie privée des personnes concernées mais aussi la confidentialité dues aux institutions mais aussi, dans le cas de la santé celle due aux soignants, tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche. Les données et les outils numériques ouvrent de nouvelles possibilités pour résoudre les problèmes complexes. Cette forme nouvelle de partage de richesses permise par les algorithmes appartient à une “soli-data-rité” et est un moteur éthique de la recherche. Le numérique crée une formidable opportunité d’aide mutuelle et d’abaissement des barrières technico-sociales.
La Connaissance Appliquée : Transformer le Savoir en Savoir-Faire
Le troisième volet, la connaissance appliquée, met l’accent sur la pratique et la transformation du savoir en savoir-faire. Dans ce cadre, l’éducation ouverte joue un rôle essentiel pour faire des apprenants des acteurs autonomes et compétents. En rendant les outils, méthodes et processus transparents et accessibles, nous leur offrons les moyens de mettre en œuvre les savoirs dans des contextes concrets. Cette approche participative place l’apprenant au cœur de l’action et fait de l’application un pilier incontournable de la connaissance ouverte. L’éducation ouverte se manifeste alors comme un partage de “recettes” ou de “secret sauces”,comme pour des algorithmes en open source.
L’Éducation Ouverte : Un Choix Politique et Humain ; Accepter de Perdre le Contrôle
Au-delà des dimensions techniques et pédagogiques, l’éducation ouverte est avant tout un choix politique, dans le sens noble du terme. C’est un choix de société, un pari sur le partage, la collaboration et la transparence. En rendant les savoirs accessibles à tous, nous perdons une partie du contrôle sur la manière dont ils seront utilisés, adaptés ou transformés. Mais cette perte de contrôle est aussi une opportunité : celle de voir émerger des solutions, des idées et des collaborations inattendues, portées par des acteurs divers.
Les outils numériques permettent des collaborations à grande échelle, comme le montre l’exemple du projet MakAir pendant la crise de la COVID-19. Ce projet, qui visait à concevoir rapidement un respirateur open-source, a mobilisé des bénévoles et des partenaires du monde entier grâce à une coordination asynchrone et itérative. Cette réussite démontre le potentiel des outils numériques pour fédérer des énergies autour d’un objectif commun, tout en soulignant la nécessité d’une compréhension fine de ces outils pour en tirer pleinement parti.
Adopter l’ouverture, c’est reconnaître que les défis techniques sont souvent précédés de défis humains : culturels, organisationnels ou sociaux ; ils nécessitent une intelligence collective. Ouvrir les ressources éducatives pour que ceux qui en ont besoin puissent en bénéficier, c’est aussi donner l’opportunité à ceux qui sauront s’en saisir et pourront inventer un monde nouveau.
Licence
Cet article de Pierre-Antoine Gourraud est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 4.0 International.
Poster un Commentaire