“Quelle(s) éducation(s) pour demain et quelles places pour quelle(s) IA(s) ?” – Barbara Class

Image par Gerd Altmann de Pixabay

Barbara Class est enseignante-chercheuse dans l’unité de Technologies de formation et apprentissage (TECFA) de l’Université de Genève. Si l’éducation ouverte est son sujet de prédilection, elle a aussi travaillé sur la question de l’Intelligence artificielle en Éducation et a bien voulu être présente à Nantes, le 26 janvier dernier, pour la journée de clôture du GTnum. Son analyse originale nous invite à questionner l’éducation au moins autant que l’intelligence artificielle. Elle a bien voulu mettre par écrit, pour notre blog, ses réflexions et nous l’en remercions.



L’invitation à la journée de clôture du GTnum Intelligence artificielle et Éducation ouverte nous a poussé à réfléchir aux éducations et aux IAs que nous souhaiterions voir demain pour nos enfants et petits-enfants.

L’éducation et ses évolutions

Un petit détour par le Moyen-Âge, et plus particulièrement aux XIIIe et XIVe siècles, lorsque les universités européennes sont nées, nous parait instructif. En effet, dans le modèle de Bologne, l’université est façonnée par ses étudiants, non seulement du point de vue du contenu mais également du point de vue de la gouvernance (Cardozier, 1968; Peter & Deimann, 2013). L’éducation, si elle se démocratise en sortant des églises et en s’installant dans les universités (Poulter & Al, 2014 – to present), reste un privilège avec, cependant, un élément à souligner : les parcours sont individualisés en fonction des intérêts de chacun (Cardozier, 1968). Il n’y a pas encore de curriculum, qui en latin, rappelons-le signifie une « course de chars ».

Henri Verdier (cf. pages des 7 et 17 novembre 2022), pour souligner la nécessité de changer de paradigme et appeler à la responsabilité et à la créativité de sa propre éducation a dit : « Les jeunes doivent apprendre à faire des vagues, pas à surfer ». Cependant, comment apprendre à faire des vagues lorsqu’une seule science est présentée comme possible, i.e. evidence-based research (St.Pierre, 2006) et que l’éducation est de plus en plus coupée de ses bases philosophiques (Laot & Rogers, 2015) ?

Fort de cette prise de conscience, comment appréhender l’IA, partie prenante présente, reconnue ou rejetée, de l’éducation ? En nous basant sur les recommandations de l’UNESCO sur une science ouverte (UNESCO, 2021), notamment l’ouverture aux différents systèmes de connaissance, nous proposons d’utiliser les épistémologies du Sud comme levier pour proposer une lecture de la situation.

Quelles orientations épistémologiques ?

En Europe et aux États-Unis, les recherches sont généralement guidées par 4 grandes orientations épistémologiques avec chacune une finalité dominante. Ainsi, et de manière très grossière, l’épistémologie positiviste cherche à prédire, l’épistémologie compréhensive à comprendre, l’épistémologie critique à émanciper et enfin l’épistémologie post-, par ex. post-numérique, à déconstruire pour préparer un autre type de recherche.

Par ailleurs, la technologie et l’IA en l’occurrence ici, peut aussi être explorée comme révélateur des processus et des réalités sociales et sociétales. Dans cette dynamique, si nous essayions de projeter les conceptions de l’IA sur les épistémologies mentionnées ci-dessus, est-ce que les interprétations suivantes pourraient nous aider à mieux comprendre les interactions entre IA et éducation ?

  • IA projetée dans une épistémologie positiviste : les algorithmes sont générés avec des biais non renseignés et des données non transparentes.
  • IA projetée dans une épistémologie compréhensive : les algorithmes sont générés en renseignant les biais et en indiquant de manière transparente les données utilisées.
  • IA projetée dans une épistémologie critique : les algorithmes, les données, les modèles, les épistémologies, etc. sont transparents, inclusifs et accessibles pour œuvrer à une maîtrise complète par les individus et la société.
  • IA projetée dans une épistémologie post-numérique : concevoir l’IA autrement, au-delà des biais et des limites des savoirs scientifiques actuels, en reliant par exemple les divers systèmes de connaissances.

Les universités européennes ont entamé il y a plus de 20 ans la réforme de Bologne qui a permis d’installer l’ouvert et le libre au niveau de la forme. Fort de cet acquis, le moment de focaliser sur l’ouvert et le libre au niveau du fond, i.e. les parcours, les contenus, les relations de pouvoir, les conceptions même de l’éducation, de l’IA, etc. serait-il venu ? Pour répondre à cette question et clore ce billet de blog, nous formulons une nouvelle question. Comment adresser les questions de liberté, de responsabilité et de créativité, comment raviver et revisiter les fondamentaux de l’éducation telle que pensés à la naissance des universités européennes, pour les ouvrir sur les diversités ?

Références

Cardozier, V. (1968). Student Power in Medieval Universities. The Personnel and Guidance Journal, 46(10), 944-948. https://doi.org/10.1002/j.2164-4918.1968.tb03142.x

Laot, F., & Rogers, R. (Eds.). (2015). Les Sciences de l’éducation. Emergence d’un champ de recherche dans l’après-guerre. Presses universitaires de Rennes.

Peter, S., & Deimann, M. (2013). On the role of openness in education: A historical reconstruction. Open Praxis, 5(1), 7-14. https://doi.org/10.5944/openpraxis.5.1.23

Poulter, M., & Al. (2014 – to present). Open Education Handbook. Wikibooks. https://en.wikibooks.org/w/index.php?title=Open_Education_Handbook&oldid=3468927

St.Pierre, E. A. (2006). Scientifically Based Research in Education: Epistemology and Ethics. Adult Education Quarterly, 56(4), 239-266. https://doi.org/10.1177/0741713606289025

UNESCO. (2021). Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000379949_fre

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