… d’un déshumidificateur ?
En octobre, j’ai été victime de la tempête Kirk et toutes les maisons de mon quartier ont été inondées. J’ai eu de la chance et l’eau n’est pas entrée chez moi, mais par capillarité les murs étaient trempés. L’assurance m’a demandé d’installer un déshumidificateur de chantier. Je suis allé en louer un. Une grosse caisse jaune. Un tuyau permet d’évacuer, goutte à goutte, l’eau. J’ai installé ça chez moi et ça marchait. On entendait le bruit du moteur et des gouttes d’eau (presque un litre par heure quand même !) tombaient dans un récipient.
Puis je me suis demandé comment ça marchait. J’avais introduit chez moi une machine qui était une boîte jaune, dont je voyais les effets mais ne savais rien sur le fonctionnement. Peut-être par chimie ? Un produit qui, mélangé avec l’air, produisait une réaction ? Peut-être des radiations ? Dans les deux cas, cela se passait dans cette mystérieuse boîte jaune et je ne pouvais rien voir. Or, dans les deux cas, cela pouvait être dangereux pour ma famille.
Un autre scénario était possible : peut-être y avait-il déjà de l’eau dans la machine et c’est cette eau qui ressortait (et en réalité, ça ne déshumidifiait rien du tout) ?
Je n’en savais rien… mais ça marchait !
Le technicien m’avait indiqué que si je transportais la machine couchée, j’allais devoir attendre, comme pour un réfrigérateur, avant de la mettre en marche. Cela m’a permis de faire le lien avec la condensation et j’ai pu me créer un modèle mental de ce qu’il se passait. Autrement dit, même si je n’étais pas capable de construire un déshumidificateur moi-même, j’en savais assez pour imaginer ce qu’il se passait et sans doute répondre à la plupart des questions.
À ce stade, on est en droit de se dire que c’est seulement parce que je suis chercheur que j’ai besoin de comprendre et que les êtres humains raisonnables n’ont pas ce besoin. C’est un argument que j’entends souvent.
Bien entendu, le lecteur ou la lectrice aura compris que je ne parle plus ici de déshumidificateur mais d’intelligence artificielle. Je pense que les sommes gigantesques investies par les géants de la tech, par les hommes les plus riches de la planète, ne servent pas seulement à développer ces fascinantes technologies, mais aussi à fausser le débat en nous faisant croire que nous exerçons notre libre arbitre en décidant que gagner du temps est une vertu majeure, ou que comprendre comment ça fonctionne est sans intérêt.
La question de donner à chacun·e la possibilité de comprendre comment fonctionne l’IA est pourtant essentielle. En particulier dans l’éducation. Certains pays (ici, là) essayent pourtant de faire le lien entre l’IA et la pensée informatique, les connaissances informatiques, la logique, les mathématiques. C’est aussi le point de vue que nous défendions dans le manuel ouvert “Intelligence Artificielle pour les Enseignants”.
Le projet européen AI-DL (Artificial Intelligence & Data Literacy) réunira à partir de janvier et pendant trois ans des équipes venant de sept pays (Espagne, France, Irlande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Slovénie). Ce sera l’occasion d’expliquer comment fonctionne un déshumidificateur. Je veux dire… l’IA.
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