Entretien avec Jeff Abrahamson, fondateur du Nantes Machine Learning Meet-Up

Parmi les outils ouverts pour disséminer sur Nantes en intelligence artificielle, le Nantes Machine Learning Meetup (NMLP) est très particulier : il s’adresse à un public un peu spécifique, celui des gens qui “font” du Machine Learning (ML). Une séance de Meetup, c’est souvent un mélange entre des étudiants, des start-upers, des développeurs sur les différentes entreprises nantaises. Un rapide tour de table où l’organisateur, animateur et hôte, Jeff Abrahamson, nous permet tous d’avoir 7 secondes, pas une de plus, pour nous présenter, et on écoute l’exposé du jour ; tantôt sur un article scientifique récent publié dans une des très grosses conférences du domaine, tantôt le travail effectué par un Doctorant de Nantes ou d’ailleurs. Puis les questions.

Le format nous change de ces séminaires de laboratoires : tout le monde peut poser sa question et il y a souvent une rafraîchissante prime aux bosseurs : celles et ceux qui ont réellement implémenté, testé, programmé.

Jeff Abrahamson, au moment de fêter les 6 ans du meet-up mais aussi de passer la main, répond à nos questions.

Pourquoi as-tu créé le Nantes ML Meetup ?

Je l’ai créé en automne 2014. J’avais récemment quitté Google Londres et pris mon rôle actuel à Jellybooks. Une des choses qui m’a vraiment passionné de Londres, c’était sa profondeur intellectuelle. Pour tout sujet il existe un groupe de passionnés qui le creuse. Je fréquentais plusieurs meetups en algorithmes et ML ou en data science. J’ai fait plusieurs connaissances assez enrichissantes qui n’auraient jamais eu lieu sans meetup. Et plus je m’impliquais dans ces communautés, plus les contacts étaient riches.

Sachant que je passerais progressivement plus de temps à Nantes et moins de temps à Londres, je souhaitais recréer ces opportunités à Nantes.  Aussi, j’ai créé le NMLM.

A quoi ressemblait le terrain ML à Nantes en 2014 ?

Ça n’avait rien à voir avec la situation actuelle !  En septembre 2014 j’ai réussi à identifier seulement trois entreprises qui travaillaient en ML.  J’ai dû plaider dur afin d’avoir mon premier intervenant.  La France était juste à la fin de cet esprit un peu vingtième siècle où les entreprises innovantes voyaient plus de risque dans le partage de ce qu’elles faisaient que de bénéfice dans les retours de ce partage.  Personne ne voulait discuter en public de ses activités !

Je pensais que le meetup ne durerait que six mois et puis je n’aurais plus personne à présenter.

Ça a changé ?

Oui, tout à fait !  Ca me semblait lent à l’époque, mais en revanche, sur seulement trois ou quatre ans les Nantais ont découvert la richesse du partage.  Déjà en 2016, mon problème était moins de convaincre les entreprises de partager et plus de les convaincre que ce qu’elles faisaient avait une valeur qui méritait d’être présenté et partagé.

J’ai commencé à être vraiment content quand je voyais, vers 2018, des entreprises qui arrivaient à s’apercevoir que la visibilité de leur présentations au meetup dépassait de loin les frontières nantaises.  Certains commençaient même à le voir comme un élément important pour un recrutement.  Nous avons aujourd’hui plus de 2000 abonnés au meetup.  Un bon nombre sont visiblement attachés à des régions autres que celle de Nantes.

Et pour toi personnellement, est-ce que l’expérience correspondait à tes attentes ?

Oui, et bien plus encore. Mon premier objectif était de créer une communauté autour du ML et du data science dans la région nantaise, et nous avons réussi à le faire dès la première année.  Avec le passage du temps ça n’a fait que se renforcer. Ce fut un vrai plaisir pour moi.

Un effet moins attendu mais tout aussi apprécié de ma part, c’est que beaucoup dans la région commençaient à m’associer avec le ML, ce qui s’est manifesté par des invitations occasionnelles de parler du ML lors de tables rondes. J’ai parfois reçu des demandes de consulting ou d’enseignement ou de formation que j’ai retransmis à d’autres ou accepté moi-même selon mon emploi du temps.  J’ai actuellement un poste de vacataire à l’IAE que je trouve assez satisfaisant. J’ai pu tracer la chaîne de conversations qui ont mené à l’opportunité, et c’est clair que mes relations au NMLM ont joué un rôle.

Donc ton rôle avec le NMLM a boosté ton carrière ?

Maintenant que tu le dis, il est probable que oui, mais c’était sûrement un effet à la  marge. C’est surtout la satisfaction qui était important.  Mais je suis sûr que si je cherchais un poste, je ne manquerais pas de visibilité grâce au NMLM

Mais ce n’est pas que moi.  Une poignée de personnes ont partagé avec moi qu’ils avaient trouvé un poste ou une opportunité grâce à une mise en contact entre deux membres du meetup.  Je trouve super satisfaisant de pouvoir réfléchir qu’il existe des vies un peu meilleures suite à quelque chose que j’ai fait.  Ce n’est clairement qu’un effet de papillon, mais parfois on arrive à retracer le cheminement des influences.

Est-ce qu’il y a eu des moment insolite ?

Sans doute. Un exemple qui me revient, c’est un prof de géophysique à l’Université de Nantes que j’avais contacté comme intervenant potentiel via je ne sais plus quelle chaîne de hasards.  Il m’a invité de passer à son bureau pour que je lui explique le meetup.  Et donc me voilà un bel après-midi de printemps dans son bureau à discuter ses recherches et les modélisations qu’il aime.  Pour un passionné comme moi, ce fut un moment magique.  Dans ma vie quotidienne je n’aurais sans doute jamais mérité une demi-heure de discussion privée avec un expert en géomodélisation.

Et donc en 2020 tu passes le relais ?

Oui, c’est l’heure.  Ma vie évolue, ma startup prend de plus en plus de mon temps.  Un projet associatif que j’ai créé avec plusieurs copains, Transport Nantes, me passionne et m’occupe.  C’est le moment de laisser de la place aux autres.  Je resterai sans doute impliqué, mais avec un peu plus de distance.

Un vrai succès sur Nantes il faut que ça continue. Mais comme c’est effectivement aussi une opportunité pour quelqu’un de trouver sa place, ça va marcher !